lunes, 21 de enero de 2013

Babel sans peine. Claude Hagège: les langues à vocation mondiale


Les langues à vocation mondiale
avec Claude Hagège
Est proffeseur-chercheur au Collège de France, auteur, nottamment de Dictionnaire amoureux des langues (2009) et Contre la pensée unique (2012).

Las Lenguas, una vocación mundial
con Claude Hagège
Es profesor-investigador en el Collège de Francia, autor, en particular, del Diccionario amante de las lenguas (2009) y Contra el pensamiento único (2012)

Le hindi et le chinois mandarin sont parmi les langues les plus parlées au monde. Elles ne satisfont poutant pas aux trois critéres qui definissent la vocation mondiale d'une langue: sa diffusion importante depuis longtemps, le nombre de locuteurs et l'effort de promotion de cette langue par le pouvoir politique. Aujourd'hui l'allemand, le portugais, l'espagnol, et surtout l'anglais et le français répondent le plus à ces critères. Mais comment réellement évaluer cette vocation mondiale?
 
El hindi y el chino mandarin están entre las lenguas más habladas del mundo. Sin embargo, no satisfacen los tres criterios que definen la vocación mundial de una lengua: su difusión importante después de mucho tiempo, el número de hablantes y el esfuerzo de promoción de esta lengua por el poder político. Hoy el alemán, el portugués, el español, y sobre todo el inglés y el francés son los que más responden a estos criterios. ¿Pero cómo evaluar realmente esta vocación mundial?

 

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Claude Hagège: "j'aime les langues comme les femmes"
Le Point
25/06/2009
Le Point : Vous prétendez aimer les langues comme vous aimez les femmes. Toutes les langues et toutes les femmes ?
Claude Hagège : Bien sûr que non ! Cela dit, cette formule n'est pas seulement métaphorique, elle correspond à une expérience biographique. A deux reprises, j'ai eu l'occasion de vérifier la parenté entre ces deux amours. Dans les deux cas, j'aimais une femme et, au même moment, le CNRS ou une autre institution m'offrait la possibilité d'aller sur le terrain pour pourchasser et décrire une langue non écrite. Je savais que je perdrais la personne aimée. Mais, chaque fois, entre la femme et la langue, j'ai choisi la langue.
En somme, vous collez au plus près au concept de « dictionnaire amoureux » ?
« Un dictionnaire ne peut pas être amoureux, c'est l'individu qui est amoureux » , m'a-t-on fait remarquer. En rhétorique classique française, ce transfert s'appelle une hypallage, figure de style qui consiste à transférer un qualificatif d'un mot vers un autre. Les savants citent souvent comme exemple un vers de « L'Enéide » : « Ibant obscuri sola sub nocte. » Mot à mot, cela signifie : « Ils allaient obscurs sous la nuit seule. » En fait, c'étaient eux qui étaient seuls et la nuit obscure.
Merci pour l'hypallage. Mais laissons là l'amour. Pour la science, qu'est-ce qu'une langue ? Vous admettez, je suppose, que le babil que l'on parle aux enfants n'en est pas une.
Je vous l'accorde. On parle de langue lorsqu'on a affaire à une organisation très articulée de systèmes, phonologique parce qu'il faut des sons, morphologique parce qu'il faut des formes, syntaxique parce qu'il faut des phrases pour agencer les mots entre eux et, enfin, sémantique parce que tous ces éléments combinés doivent produire du sens.
Une mécanique aussi complexe peut-elle se passer d'une écriture ? Peut-on vraiment parler de langues orales ?
Evidemment ! Il existe d'innombrables dialectes, africains, amérindiens, océaniens. Pour le linguiste, ce sont des langues. Je dirai qu'une langue est un dialecte qui a réussi et qui a acquis une prééminence en fonction de trois paramètres. Elle s'écrit et produit une littérature. Elle se parle là où s'est établie une autorité politique : le dialecte va être promu langue quand le lieu où il se parle devient celui du pouvoir. Enfin, elle est l'objet d'une entreprise de planification et de réforme dont l'enjeu est de dégager une norme dialectale. C'est ce qui s'est passé pour le français et qui se reproduit aujourd'hui pour les langues régionales. Ceux qui veulent donner à ces langues une dignité ont très bien compris qu'elles souffraient de leur dispersion. Il existe six dialectes occitans et au moins cinq variétés du basque. On s'achemine apparemment vers un processus d'unification.
Une langue, vous l'avez dit, c'est aussi une littérature. Justement, toutes n'ont pas créé Racine ou Dostoïevski. Pour sympathique que soit votre postulat selon lequel toutes les langues se valent, est-il opératoire ?
Ce postulat de l'égalité n'est pas formulé explicitement, mais j'admets qu'il est sous-jacent à ce que j'écris. Je n'affirme nullement que toutes les langues aient produit des littératures d'égale beauté. Elles se valent comme instruments de communication et parce qu'elles possèdent les caractéristiques que j'ai énoncées plus haut. Elles se valent à un autre titre : contrairement à ce que l'on croit, n'importe quelle langue peut être traduite en n'importe quelle langue. Les petites langues tribales de Nouvelle-Guinée, les langues d'Afrique parfois réduites à un village sont aussi capables que n'importe quelle autre de traduire des textes politiques, poétiques ou littéraires. Tout simplement parce que, quand un mot leur manque, elles l'inventent.
Mais comment inventer le mot quand on ne connaît pas la chose ? Par exemple, toutes vos « microlangues » sont-elles capables de traduire « démocratie » ou « liberté » ?
On se contente de fabriquer un mot décrivant le sens. Ainsi, pour « démocratie », on reprendra tout simplement l'étymologie grecque et l'on traduira par « pouvoir du peuple ». Liberté, en chinois, se dit « mouvement (décidé par) soi-même ».
Vous ne pouvez pas refuser l'évidence : certaines langues sont plus sophistiquées que d'autres. Il y a des grandes langues comme il y a des grandes puissances.
Je dirai plutôt que certaines langues ont quelque chose de sommaire, une syntaxe moins précise, un lexique moins étendu : ce sont les pidgins, ces langues qui naissent spontanément sur les marchés d'Afrique et d'ailleurs pour permettre à des gens venus de tribus et de villages différents de commercer ensemble. Il leur manque une caractéristique capitale pour être des langues : le fait d'avoir été transmises dans la petite enfance. Mais, comme les relations de marché et d'échanges finissent par créer des communautés, certains pidgins s'enrichissent et engendrent des créoles [NDLR : système linguistique mixte] qui se transmettent au sein de la communauté. Le guadeloupéen, le martiniquais et le guyanais ont commencé par être des pidgins et sont maintenant des créoles.
Vous n'êtes pas loin de penser que le verlan des cités est une langue. Nierez-vous que c'est une langue pauvre qui ne permet guère de penser la complexité du monde ?
Non, je ne prétends pas que le verlan soit une langue. Pas tout à fait. Comme l'argot des prisonniers ou des hors-la-loi, c'est une langue inventée par des populations rejetées en lisière de la société pour communiquer entre elles. Elles sont moins richement équipées pour traduire toute la réalité que les langues au sens plein du terme, mais elles ne sont pas faites n'importe comment, elles obéissent à une construction grammaticale, même inconsciente.
Vous appelez au sauvetage des langues menacées. Mais vous ne semblez pas voir l'appauvrissement de nos chères et vieilles langues qu'on ne sait plus parler ni écrire. Vos lunettes progressistes vous aveugleraient-elles ?
A toutes les époques, les communautés cultivées ont eu l'impression que la langue s'appauvrissait. Pourquoi ? Parce qu'elle évoluait. Certains mots et tournures disparaissent, d'autres apparaissent. Ceux qui ont vécu la transformation du latin en différentes langues romanes, aux IIIe et IVe siècles, ont été horrifiés par la simplification des déclinaisons, la réduction du vocabulaire, la germanisation. Or que s'est-il passé ? Le latin a cessé d'être parlé quand on s'est rendu compte qu'il n'était plus accessible aux masses. Et il a donné naissance à de nombreux créoles, qui sont ensuite devenus d'extraordinaires langues littéraires. Le français, l'italien, le portugais, l'espagnol et le roumain sont des créoles du latin. Les contemporains qui vivaient cette mutation comme une catastrophe ne pouvaient imaginer que ce qui était pour eux du latin de cuisine allait donner naissance à de telles merveilles. Tous les linguistes vous le diront : la langue ne s'appauvrit pas, elle change.
On a parfois l'impression que vous aimez toutes les langues sauf une. La domination de l'anglais vous hérisse. Peut-être que l'anglais est le pidgin d'un monde globalisé, une langue qui s'invente pour commercer.
Si on accepte l'existence d'une langue de communication mondiale, à laquelle on prête naïvement un rôle purement utilitaire, on accepte à terme qu'une langue exerce son hégémonie. L'anglais est un danger mortel pour la diversité des langues. Bien sûr, les langues vivent d'emprunts. Seulement, au-delà d'un certain seuil, il ne s'agit plus d'emprunts, mais d'invasion, en particulier quand la langue pourvoyeuse est celle d'une grande puissance. L'américanisation du français est ridicule. Mais l'exemple du Québec montre qu'on peut résister. En 1975, quand le Parti québécois de René Lévesque a fait voter la loi 101 qui fait du français la seule langue officielle de la Belle Province, tout le monde s'en est gaussé. Mais ce fut un succès. Lacordaire disait, comme on sait : « Entre le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. » Le recours à la loi est indispensable. Sinon, dans deux siècles, nous parlerons tous anglais.

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